Cette réforme imposée au mauvais moment et au moyen d’un texte financier contraignant, laissait peu de place au pouvoir législatif et excluait les sujets essentiels pour les Français. Sans politique familiale ni mesures ambitieuses pour l’emploi des séniors, le texte ne répond pas aux vrais enjeux. Le recours au 49.3 vient confirmer ce que j’avais redouté depuis le début, et ce qui a motivé mon vote contre cette réforme.
Tout d’abord, cette réforme envoie un mauvais signal aux femmes et aux mères de famille.
> En l’absence de politique familiale, les femmes sont les plus pénalisées et notamment celles qui avaient jusqu’ici une compensation pour les périodes liées à la maternité (8 trimestres par enfant, 4 pour la maternité et 4 pour l’éducation). Ces 8 trimestres leur permettaient de partir à 62 ans pour un taux plein.
> Cette compensation aurait dû être sanctuarisée. En l’état, la réforme rallonge leur carrière de deux ans comme pour les hommes, avec pour seul acquis une surcote de 5 % à partir de 64 ans. Or, les femmes ne sont pas des hommes comme les autres ! Nier la particularité de la maternité est en contradiction avec le défi de la natalité.
> En allongeant le délai de 2 ans, beaucoup de femmes ayant eu des enfants devront travailler jusqu’à 67 ans pour un taux plein.
Nous savons que les carrières des femmes sont moins linéaires, en termes de progression professionnelle comme de salaires. L’écart de rémunération Hommes/Femmes est de 26% en moyenne. En fin de carrière, ces inégalités se cumulent et se retrouvent dans le montant de leur retraite, inférieur de 40% en moyenne à celles des hommes.
> Elles sont déjà contraintes à travailler plus longtemps que les hommes, et sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires. Entre 55 et 64 ans ces emplois concernent 32,8 % des femmes contre 10,9 % des hommes.
Pour les femmes aidantes, des difficultés supplémentaires
Autre statut pénalisé par cette réforme, celui d’aidant familial qui là encore concerne davantage les femmes. En travaillant jusqu’à 64 ans et au-delà pour un taux plein, elles ne pourront plus assurer ces millions d’heures données à la collectivité et à la solidarité intergénérationnelle.
Qui s’occupera des parents et des proches en perte d’autonomie désormais ? Qui permettra de les maintenir à domicile au lieu de les faire prendre en charge par la collectivité et les Ehpad publics ?
> Être aidant se répercute sur la retraite. Il fallait leur donner la possibilité de partir à taux plein avant l’âge de 64 ans dès lors que les trimestres acquis au titre des majorations pour enfant ou adulte handicapé permet d’atteindre le nombre de trimestres nécessaires.
Le dispositif carrières longues
« 43 annuités pour tous » : c’est faux. Le dispositif de la réforme ne concerne qu’un tiers de ceux qui ont débuté avant 21 ans.
Pourquoi ? Parce que les trimestres acquis en période de chômage ou de maladie ne sont pas pris en compte dans le dispositif carrières longues. Donc les salariés concernés sortent de facto du dispositif et auront à travailler 44 ou 45 ans.
Les seniors, le pivot oublié de la réforme
Reculer l’âge légal de la retraite sans avoir obtenu de résultats en matière d’emploi des seniors est irresponsable. Les prétendues « mesures » du texte – index seniors et CDI seniors en expérimentation – ne sont que des outils de communication.
>L’index senior, une photographie sans impact
En France, les difficultés à trouver un emploi commencent dès 45 ans et la sortie de l’emploi d’un salarié de plus de 50 ans est souvent définitive.
Entre 60 et 64 ans, le taux d’emploi tombe à 33,1% en France contre 45,3% dans l’Union européenne
S’agissant des cadres, leur entrée dans le chômage résulte à plus de 80% de licenciements ou de ruptures conventionnelles à l’initiative de l’employeur. L’étude Apec / Pôle Emploi de juin 2022 révèle que sur la totalité des cadres en recherche d’emploi, 71% étaient des séniors en chômage de longue durée.
Ce triste record français a un coût humain et social que cette réforme va aggraver. Il a également un impact économique considérable, comme vient de le rappeler l’Unedic dans son étude publiée le 1er mars 2023. Depuis la réforme Touraine, les dépenses d’indemnisation chômage des plus de 55 ans ont augmenté de 38 %. 100 000 allocataires supplémentaires âgés de 60 ans et plus ont été enregistrés entre 2010 et 2022 pour un coût passé de 4,8 milliards d’euros en 2010 à 6,7 milliards d’euros en 2022.
La Dares (Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques) estime que le décalage de 62 à 64 ans coûtera 1,3 milliard d’euros sur un an pour l’assurance chômage.
Aux 100 000 nouveaux chômeurs probables, il faut ajouter 30 000 allocataires du RSA et 30 000 allocataires de l’ASS (minima social pour les chômeurs de longue durée non indemnisés par l’assurance chômage).
>Le « CDI Séniors »
Le gouvernement n’a jamais été favorable à ce dispositif, qui est devenu une mesure d’expérimentation sur 3 ans (2023-2026) dans le texte définitif. Il le considère comme trop coûteux, créant des effets d’aubaine et peu efficace. De fait, les CDI ou CDD séniors existants n’ont jamais donné de résultats en matière d’emploi.
Sur la procédure législative
Dès le départ, le gouvernement a commis une erreur en présentant sa réforme à travers un texte purement budgétaire, en excluant toute dimension sociétale, donc l’essentiel. Le gouvernement a cru que ce détournement de procédure législative lui permettrait de passer une réforme dans un temps plus court, avec un nombre d’amendements limités et sans publier l’avis du Conseil d’état car un texte financier ne l’oblige pas.
A propos du 49.3, il faut rappeler que le gouvernement avait précédemment activé le vote bloqué au Sénat avec l’article 44.3.
Un cas rare au Sénat, qui permet au gouvernement d’exiger un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion, en ne retenant que les amendements acceptés par le gouvernement et les siens. Ce vote bloqué a eu pour conséquence de ne voter qu’une partie du texte seulement – 8 articles sur 20- et n’a pas permis d’examiner l’article 9 sur la pénibilité ou l’article 12 sur les aidants.
Sur le volet financier : de faux arguments
Le président du COR, Pierre-Louis Bras, a expliqué devant la commission des Finances de l’Assemblée nationale que « les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l’hypothèse la plus défavorable, elles augmentent sans augmenter de manière très très importante […]. Donc les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées. »
10 milliards de déficit pour les retraites…contre 3000 milliards de dette
Le déficit des retraites est de l’ordre de 10 milliards d’euros en 2021, et d’après le COR, la trajectoire s’améliorerait encore pour s’équilibrer naturellement vers 2070.
Faire passer cette réforme en force sous un prétexte de « faillite du système » est totalement mensonger. D’autres pistes de financements existent d’une part, et d’autre part, depuis le 1er quinquennat du Président Macron, les dépenses ont explosé : +700 milliards !
Dont 400 milliards d’euros pour la seule crise Covid. La France a atteint 2500 milliards d’euros au total en 2020. La dette a franchi les 100% du PIB pour la première fois durant la pandémie, et elle passe désormais le cap des 3000 milliards d’euros.
=> Culpabiliser les Français et leur faire croire que le système de retraites est en cause en pleine période d’inflation, de flambée des prix de l’énergie et de crise en Ukraine, est tout sauf une attitude politique responsable.